Le Iaido (ou Iaïdō) est un budō, ou art martial japonais tourné vers l’étude du sabre. Le Iaido intègre toutes les phases d’un engagement depuis le moment où une menace amène a tirer le sabre, jusqu’au rengainé. Exprimé encore plus simplement, le Iaido est l’art de tirer et couper en un mouvement unique.
Le dégainé puis, la coupe effectuée, le retour du sabre dans le fourreau distingue le Iaido du ken-jutsu qui se concentre sur les techniques de combat au sabre, une fois dégainé. Par ailleurs, à l’opposé de son cousin le Kendō (littéralement « voie du sabre »), auquel le Iaido est cependant étroitement associé, le Iaido est une pratique non combative.
L’action est au Iaido un enchainement fluide d’un nombre réduit de mouvements dont l’archétype serait le suivant :
De nombreux kata (ou formes) permettent de faire varier le schéma ci-dessus pour répondre à plusieurs attaquants simultanément en position assise, debout ou parer une coupe puis contre-attaquer, etc.
Le mot Iaido (居合道) est composé de : 居 ou le I de iru, être ; 合 ou Ai, l’harmonie et 道 ou dō, la « voie ». Le Iaido est un budō qui accorde une place importante à la spiritualité et au travail intérieur.
Le pratiquant, en travaillant à partir d’une lame (potentiellement) mortelle, vise une perfection gestuelle qui à pour finalité, non la maîtrise de l’arme, bien que celle-ci soit essentielle, mais une mise en harmonie de l’être avec son environnement.
Le mot Iaido a été, si ce n’est inventé, en tout cas popularisé par Nakayama Hakudo au début des années 1930. Certains avancent la date de 1932, lorsque parallèlement Nakayama Hakudo mettait au point son style Musō Shinden ryū.
Le Iaido moderne pratiqué aujourd’hui est le résultat d’une profonde transformation de l’enseignement des écoles de sabre anciennes au tout début du XXe siècle. Si cette transformation est une œuvre forcément collective, deux figures se détachent : Nakayama Hakudo dont nous venons de parler, mais également Oe Masamichi fondateur du style Musō Jikkiden Eishin ryū.
Nakayama et Oe vivent à une période charnière de l’histoire du Japon. Au début du XXe siècle, le Shogunat des Tokugawa et son système féodal ainsi que les valeurs de la classe samouraï deviennent des souvenirs après la guerre de Boshin (1868) et la révolte de Satsuma (1877). Les samouraïs qui ont refusés leur modernisation forcée sous l’ère Meiji et l’intégration à la société civile ont été marginalisés.
L’enseignement du sabre, qui était un avant tout dans les ryū anciens un Iaï-jutsu (ou technique du Iai), doit se moderniser et être adapté à un nouveau public, plus large que sa traditionnelle audience la caste samouraï qui a cessé d’exister. En outre, la valeur du sabre comme arme de guerre est définitivement supplantée par les armes à feu.
Nakayama Hakudo et Oe Masamichi, qui ont tous deux pratiqués plusieurs écoles de sabre anciennes, vont travailler à réduire le nombre de formes afin de le rendre assimilable à des pratiquants qui ne sont plus une élite guerrière.
Ce faisant Nakayama Hakudo et Oe Masamichi mettent en avant l’esprit et les valeurs spirituels que véhiculaient déjà les budō, c’est-à-dire définitivement passer d’un Iaï-jutsu à un Iaido. Le sabre, défait par l’arme à feu, peut se dégager complètement de sa vocation guerrière et avoir comme unique finalité le perfectionnement de l’individu.
Le Iaido pratiqué aujourd’hui est donc le résultat direct d’un travail de transmission effectué à la fin du XIXe siècle, mais la discipline elle-même, et les centaines d’écoles de sabre qui en ont découlées, s’est mise en place au milieu du XVIe siècle sous 3 influences distinctes :
Le sabre (ken) est une composante de l’entraînement des guerriers dont les premières traces remontent à des traités de formation de la noblesse impériale de Nara au VIIIe siècle. Le sabre est bien entendu présent dans la formation des premières écoles de guerrier et possède déjà une valeur particulière.
Le sabre de l’époque est droit avec deux côtés tranchant, il est appelé tsurugi et s’inspire des productions continentales. Puis, vers le XIe – XIIe, les trois éléments qui caractérisent le sabre japonais se mettent en place : une courbure, un tranchant d’un côté et un facetage particulier appelé shinogi-zukuri.
Taille, courbure et poids du sabre se modifient ensuite pour répondre aux nécessités des époques : type de bataille, évolution des armures mais également nouvelles possibilités apportées par des techniques de forge introduites au fil du temps.
D’abord employé par des guerriers à cheval, le sabre se manie à une main et possède une forte courbure. Avec l’époque Nambokucho au XIVe, la lame s’allonge démesurément et l’on utilise le sabre à deux mains.
Au XVe, à l’inverse, le sabre se raccourcit et s’épaissit. Il en profite d’ailleurs pour prendre son nom de Katana (déformation de « kataha », « un seul côté tranchant »). Le sabre se porte désormais lame vers le haut, dans la ceinture.
Le katana arrive enfin à sa forme actuelle à l’époque Edo, au XVIe, où le sabre, en recherche d’équilibre et de nouvelles possibilités de coupe, voit sa courbure s’adoucir et sa taille s’amincir.
Notons que le sabre n’a jamais été l’arme dominante sur les champs de bataille où on lui préférait l’arc, puis le yari (pique) ou le naginata (hallebarde). Arme ultime de défense, elle prend son sens à l’époque Edo, où la paix l’amène à devenir la composante maîtresse de l’armement des samouraïs.
Le samouraï se retrouve en effet dans cette période de paix le plus souvent sans armure, uniquement pourvu de ses sabres, et doit se défendre d’attaques soudaines ou combattre en duel. Les Koryū se multiplient et le sabre s’ajuste pour répondre à de nouveaux besoins comme la possibilité de réaliser facilement des coupes de taille et d’estoc.
Le bouddhisme est introduit au Japon vers le VIIe siècle. La doctrine est alors très élitiste et se base sur une médiation pour arriver au salut. Cependant, en Chine, dès le VIe, une nouvelle conception du bouddhisme émerge, importée par un moine d’origine indienne Daruma.
Cette nouvelle conception n’arrivera au Japon que bien plus tard, au XIIIe, lorsque de nombreux moines Chan immigrent devant l’invasion Moghol. Ce nouveau bouddhisme, appelé Zen, prend ensuite son essor au Japon sous l’ère Muromachi, au XIVe.
Le bouddhisme Zen insiste sur l’importance de la méditation (dhyäna en sanskrit, chan en chinois et zen en japonais) comme voie d’accès à l’éveil, sans recourir aux pouvoirs de salut des Bouddhas et des Bodhisattvas.
L’accent est mis sur l’autodiscipline spirituelle et la confiance en soi qui doit aboutir à créer un regard neuf sur le monde : c’est-à-dire en dehors de l’expérience et hors de la logique classique.
C’est dans ce contexte que des assertions comme « moins c’est plus » trouvent un sens et peuvent être comprises. Le bouddhisme Zen ne donne aucune valeur aux choses, insiste sur une initiation non écrite, voire secrète entre le maître et son élève. Le stade ultime, l’éveil, ne s’atteint qu’au travers de la médiation et l’intuition soudaine.
Si le bouddhisme Zen mettra un peu de temps pour s’intégrer dans les arts de la guerre, ils permettent de comprendre le moine Takuan Sōhō (1573-1645) qui insistera sur l’importance du détachement de soi et de la transcendance. Plus l’égo s’attache à la vie, plus, dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, la victoire peut échapper au combattant.
Avec l’avènement de la période Edo et la paix des Tokugawa à partir du XVIIe, le shôgunat va exercer un contrôle étroit sur son élite guerrière, dont l’une des expressions est un code de conduite rigide.
Autrefois plus ou moins perméable, la caste samouraï se referme et devient purement héréditaire. Son symbole devient le port des deux sabres : le katana – sabre long – et son compagnon, le wakisashi – le sabre court.
Si l’on ne devient pas samouraï, celui-ci ne peut pour autant pas prendre le travaille des autres castes. En-dehors d’un emploi rémunéré, qui peut très bien se résumer à des tâches administratives sous l’autorité d’un petit daimyo, il n’est point de salut. De se point de vu, pour un samouraï rônin, assurer sa subsistance est souvent problématique.
Dans ce contexte, comment donner sens au lourd entraînement guerrier ? Le samouraï rônin y verra éventuellement, par le développement sans relâche de son talent, la possibilité de se trouver un maître, mais pour la grande majorité, surtout après les premières années de domination des Tokugawa, son poids est sans rapport avec son utilité pratique.
On notera en outre, l’aspiration au salut contenu dans le bouddhisme qui se fait plus pressant, à fortiori pour une élite guerrière en période de paix. Mais comment assurer celle-ci pour des hommes se dédiant à la mort ?
L’originalité des écoles de sabre est d’opérer un renversement en se servant du bouddhisme zen : l’entraînement à la guerre, et donc lié à la destruction, peut servir de point de départ pour un cheminement vers le salut et la spiritualité. Et quel meilleur outil pour pratiquer cette voie intérieure que le sabre, l’âme du samouraï ?
Au XVIIe, Hayashizaki n’est pas le premier à proposer une école de sabre mêlant valeur bouddhiste et efficacité guerrière. Plusieurs moines avant lui, notamment au XVe et au XVIe, avaient fondé des styles sur les mêmes bases. Est-ce l’efficacité particulière des techniques mise en avant par Hayashizaki ou une société samouraï plus réceptive qui explique son succès ?
Probablement un peu des deux : Hayashizaki développe son style dans les premières années du shôgunat des Tokugawa, époque où ce type d’enseignement est susceptible de trouver une large audience. Par ailleurs certains de ces kata sont réputés avoir été transmis au fil des siècles, signe qu’ils devaient avoir quelques mérites pratiques.
A partir de Hayashizaki, les écoles se multiplient dont certaines subsistent jusqu’à nos jours. Au sein de celles-ci, l’élément central de ce qui deviendra le Iaido moderne, l’utilisation d’une arme qui à pour finalité un travail intérieur, restera l’élément original qui lui seul explique la possibilité d’une transmission de techniques sur une aussi longue durée et la pertinence de la discipline jusqu’à nos jours.
L’ennemi « objectif », menace externe, est en réalité accessoire, le vrai but et obstacle est d’abord soi-même.